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La place d’équipier à bord de Fulmar.
Cela fait 36 ans que je navigue, 21 sur un bateau dont je suis propriétaire et 7 avec Fulmar. Je ne découvre pas aujourd’hui que l’organisation des croisières est un style qui évolue.
La saison 2012 avait été marquée essentiellement par la précision de la place des équipiers à bord. Trois éléments nouveaux y ont contribué : ma nouvelle expérience de navigation en solitaire lors de la seconde croisière 2012, l’introduction du mémo de l’équipier, et la demande pressante des jeunes équipiers largement majoritaires cette année-là. Voilà ce que j'ai noté alors, et qui reste valable aujourd'hui.
Y a-t-il sur Fulmar besoin d’équipiers pour faire marcher le bateau ?
Souvent seul à bord depuis 2014, j’ai pu actualiser, le rapport entre le projet de la croisière et la place des personnes embarquées.
L’espace d’évolution dégagé améliore la rapidité d’intervention et d’exécution. L’anticipation des actions adéquates et leur décomposition, nécessaires également pour donner un ordre, s’affranchissent de la demande d’attention, de leur explication et de la vérification de l’efficience des manœuvres.
Bien que l’organisation de Fulmar ne soit pas orientée excessivement vers une navigation en solitaire, les besoins techniques d’équipiers à bord de Fulmar sont peu nombreux à ne pouvoir être anticipés et contournés. Par exemple, toutes les manœuvres de réduction de voilure et de mouillage peuvent être effectuées sans sortir du cockpit.
Il y a le risque de l’accident physique du navigateur solitaire, qui le mettrait en incapacité physique d’assumer son rôle. Il en résulte que tous les déplacements sont très mesurés et sécurisés. Je regarde encore plus où je mets mes pieds et où je me tiens en descendant dans le carré ou en me rendant à l’avant du bateau. Et je me harnache systématiquement lors des manœuvres sur le pont en navigation en solitaire.
Il y a l’incident survenant au bateau en cours de navigation, à un moment où le pilote automatique ne tient pas, ou dans un passage proche de la côte ou encombré. Aucune possibilité de confier la barre à un autre pour aller voir ce qui se passe dans la cale moteur ou pour remédier à une rupture de passe-coque ou d’accastillage essentiel. Seule manière d’y remédier : renforcer la méticulosité de l’entretien mécanique.
Il y a le besoin de consulter la cartographie quand la veille extérieure ou la prise en main de la barre nécessitent de rester à l’extérieur, et particulièrement lors d’approches de port et de mouillage. Une tablette étanche a été installée sur la console de barre.
Reste le cas d’un projet de navigation sans escale plus longue que la capacité de veille sécurisée du navigateur solitaire. Cela ne pose pas de problème en côtière où l'on peut toujours s'arrêter. Par contre, une traversée de plus de 24 heures n’est pas envisageable en méditerranée à cause de la densité du trafic.
Le sentiment de vivre une aventure, que le monde m’appartient, est renforcé. Le plaisir qui en résulte n’est par contre partageable qu’avec soi-même.
Une question de sens prend de l’importance.
L’investissement qui permet cette aventure, d’acquisition de savoir-faire et de conscience de la nécessité d’une organisation appropriée aux conditions de cette aventure, cet investissement, j’ai besoin de le mettre à disposition d’autres et d’en permettre la transmission.
Quelle place pour l’équipier ?
L’amélioration de la possibilité pour chaque personne à bord de prétendre occuper une place active, selon son niveau, ses intérêts, a été parfois souhaitée lors des navigations précédente. De la présence plus fréquente de jeunes femmes à bord, depuis l’an dernier, résulte une revendication renouvelée d’une place d’équipière à part entière, et non de simple passagère sous prétexte que certaines choses sont trop techniques, trop physiques.
La vie à bord et la marche du bateau sont régies par des principes techniques propres à la navigation à la voile, mais également par les choix qu’opère le chef de bord parmi des options techniques, en vue de les harmoniser et de les faire correspondre à d’autres choix préalables qu’aura fait le propriétaire dans l’équipement et les agencements du bateau.
Robert, qui a été longtemps mon second, réclamait un mémo qui récapitulerait les éléments essentiels à chacun pour pouvoir contribuer à l’organisation de la vie à bord et à la bonne marche du bateau. Ce mémo existe désormais, et j’y intègrerai les suggestions d’améliorations, de précision, de simplification, et un index. Ce mémo a été le support de moments de briefings quotidiens lors de la première semaine de chaque croisière, souhaités par les équipages.
Que chacun puisse occuper une place d’acteur à bord suppose que soient organisés l’apprentissage et la vérification de l’efficience de ce qui est appris. Si l’on veut en outre favoriser la retransmission entre celui qui a appris et celui qui va apprendre, cela nécessite également une supervision de la transmission et de la vérification.
Un exemple éloquent est la transmission de la technique de mouillage. Depuis les croisières de 2012, la méthode est la suivante. Le chef de bord apprend la technique à un équipier. Quand celui-ci maîtrise la technique, il est d’abord observé par celui à qui il transmettra. Observé non pas comme assister en curieux, mais en tant que celui qui sera amené à faire la prochaine fois. L’étape suivante est l’apprenant qui réalise, sous le regard attentif de celui qui transmet ; puis les deux rendent compte du processus au chef de bord, qui veille à ce que la procédure ne soit pas altérée pendant la transmission, et rend attentifs l’actuel transmetteur ainsi que celui qui deviendra transmetteur à l’issue de son apprentissage, aux causes probables de telles altérations. La cause principale de telles altérations est la gène que le transmetteur peut éprouver à émettre des critiques face à la technique mise en œuvre par l’apprenant.
Une question de reconnaissance d’un statut, et de savoir incarner un statut.
Équipage et chef de bord
Parfois se produisent des moments magiques, où le bateau n’est plus une machine manipulée plus ou moins adroitement, où les humains à bord font corps avec le bateau : un bateau qui démarre tout seul du mouillage pendant que le capitaine travaille à la table à cartes, un virement de bord fluide, une voilure finement réglée dans la durée par petit temps capricieux, une nuit de traversée où les quarts se sont bien enchaînés et le journal de bord bien tenu… A ces moments-là, le capitaine se trouve en présence d’un équipage.
Mais l’accroissement de la technicité des équipiers, et de leur capacité d’initiative, ingrédients nécessaires des conditions de réalisation de ces moments, ne sont pas suffisants. En-dessous, presque dissimulée, peut-être par pudeur, se trouve la capacité collective de coordination, d’acceptation qu’un statut particulier soit exercé, et pour l’un des membres de l’équipage de l’exercer.
Le "second" est investi de la responsabilité de la veille en l’absence du chef de bord (occupé à l’intérieur, ou quand il se repose). Mais au-delà, l’institution de ce rôle veut permettre un début de dépersonnalisation de la question complexe de la responsabilité lors d’une "expédition maritime" (1). L’organisation à bord ne procède pas des lubies d’une personne, mais des particularités de l’expérience d’une expédition maritime. J’ai eu grand plaisir à constater que ce rôle, même s’il est exercé incomplètement, ou parfois folklorisé, n’a pas rebuté les jeunes équipages de cet été.
Cela me permet de souffler, d’être un peu plus serein aux moments où je lève le pied, et de ne plus être seul référent pour chacun.
Merci à tous de me permettre l’aventure, essentielle pour moi, que je viens d’essayer de caractériser dans ces quelques mots, et merci encore plus à la confiance que vous m’accordez, sans laquelle cette aventure ne serait pas possible.
Le 4 octobre 2012 (mise à jour juillet 2016)
Roland
1. L’introduction du mémo de l'équipier nomme une croisière : "expédition maritime", en référence au droit maritime français.
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